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François 1er
François Ier, le roi du coton bio 100 % burkinabé
Le crĂ©ateur François YamĂ©ogo a inaugurĂ© une fabrique textile en 2018 Ă Koudougou, une raretĂ© au Burkina Faso oĂč lâessentiel de la production est exportĂ© brute.
LETTRE DE OUAGADOUGOU
Dans lâatelier de « François Ier », les ouvriĂšres font chanter leur mĂ©tier Ă tisser. « Clic clac rikiti, clic clac rikiti ! » Les pieds battent la cadence sur les pĂ©dales, un bras tire la poignĂ©e de la canette, lâautre ramĂšne le « peigne ». Le va-et-vient effrĂ©nĂ© de la bobine marque le rythme dâune musique lancinante. Virevoltant tout autour, le crĂ©ateur François YamĂ©ogo, son vrai nom, en est le chef dâorchestre. Il guide dâun doigt, touche les tissus, repĂšre le moindre accroc. « Tout doit ĂȘtre parfait ! », insiste le Franco-BurkinabĂ© dans son usine semi-industrielle de Koudougou, Ă 100 kilomĂštres Ă lâouest de Ouagadougou.
InaugurĂ©e en 2018, elle est la premiĂšre fabrique de textile bio du pays. Le Burkina Faso, pourtant quatriĂšme producteur sur le continent africain, exporte la majoritĂ© de son coton brut en Asie. Un constat qui a poussĂ© François YamĂ©ogo Ă investir dans la filiĂšre locale, en crĂ©ant une ligne de vĂȘtements en coton bio entiĂšrement confectionnĂ©e au Burkina Faso. Cet ancien grossiste du Sentier rĂȘve de faire du faso dan fani â littĂ©ralement « pagne tissĂ© de la patrie » en langue dioula â le tissu traditionnel burkinabĂ©, un « produit dâexcellence » et compĂ©titif sur le marchĂ© international.
A dix heures du matin, lâusine de Koudougou est dĂ©jĂ en Ă©bullition. Dans une cour, des femmes sâagitent autour de marmites fumantes, nettoient le coton et le plongent dans des bacs de teinture. Sous un auvent, dâautres embobinent le fil sur un rouet en bois, tissent puis cousent les vĂȘtements sur de vieilles machines Ă coudre. Du tissage Ă la confection, tout est fait Ă la main par les employĂ©s, principalement des tisserandes artisanales de la rĂ©gion. Pour le fabricant de mode, valoriser le savoir-faire burkinabĂ©, câest « crĂ©er de lâemploi local, permettre Ă ces femmes de vivre dignement et lutter contre la transformation du coton Ă lâĂ©tranger ».
Cotons bio certifiés Ecocert
François YamĂ©ogo sâapprovisionne auprĂšs de producteurs biologiques locaux, certifiĂ©s du label bio Ecocert, qui rĂ©coltent Ă la main et cultivent sans pesticides ni engrais chimiques. Avec ses 50 employĂ©s, dont 40 femmes, et une centaine dâemplois indirects gĂ©nĂ©rĂ©s, la structure tente de sâimposer comme un « modĂšle dâĂ©conomie solidaire ».
Un Ćil sur son ouvrage, lâautre sur sa petite de 4 ans endormie Ă ses cĂŽtĂ©s, Marie YamĂ©ogo, 34 ans, est ravie. « Avant câĂ©tait difficile, il fallait chercher les clients, maintenant ce travail mâassure un revenu rĂ©gulier et mâaide Ă soutenir ma famille », glisse cette mĂšre de trois enfants. FormĂ©e par le styliste, elle gagne dĂ©sormais 1 000 francs CFA (1,52 euro) le mĂštre tissĂ©, une vingtaine dâeuros en moyenne par jour, le double des prix du marchĂ©.
Le travail Ă la piĂšce permet Ă la structure dâĂȘtre compĂ©titive et flexible, assure son dirigeant, estimant son chiffre dâaffaires Ă quelque 50 millions de francs CFA (76 224 euros) par an. Chaque jour, lâusine fabrique environ 250 mĂštres de tissu. Soit une centaine de chemises et environ 12 000 cache-nez, son « plus gros marché », prĂ©cise M. YamĂ©ogo qui a Ă©galement fabriquĂ© un demi-million de masques en coton depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie.
Avant de devenir le « roi du coton bio », François YamĂ©ogo a pourtant dĂ» se battre. Il lui aura fallu cinq ans pour atteindre lâĂ©quilibre, dix ans pour engranger des bĂ©nĂ©fices. Dâailleurs, quand il dĂ©cide de « tout plaquer » et de revendre ses quatre boutiques parisiennes pour lancer sa marque en faso dan fani en 2007, aprĂšs trente ans de carriĂšre dans lâindustrie du textile en France, ses amis le traitent de « fou ». Il fait alors figure de pionnier. « Personne ne comprenait pourquoi je voulais investir dans le coton burkinabĂ©, les jeunes portaient surtout du synthĂ©tique, des fripes venant des conteneurs de lâOccident. Le tissu traditionnel Ă©tait considĂ©rĂ© comme vieillot », se rappelle François YamĂ©ogo, qui sâest Ă©galement engagĂ© contre le projet de coton transgĂ©nique de Monsanto au Burkina, lequel fut finalement abandonnĂ© en 2016.
A Koudougou, lâusine de fabrication dâĂ©toffes bio de François YamĂ©ogo, crĂ©ateur de la marque burkinabĂ©e François Ier, compte 50 employĂ©s, dont 40 tisserandes artisanales. SOPHIE DOUCE POUR "LE MONDE"Le pays produit environ 600 000 tonnes de coton graine â une activitĂ© qui reprĂ©sente 65 % des revenus des mĂ©nages ruraux â, mais seulement 2 % sont transformĂ©s sur place. Face Ă la concurrence asiatique, lâancienne usine textile du pays Faso Fani avait Ă©tĂ© placĂ©e en liquidation judiciaire en 2001. Une « aberration », fustige le styliste, qui commence par sâapprovisionner auprĂšs de coopĂ©ratives de femmes tisserandes. Mais le rendement est trop faible. « La seule solution, conclut-il, est de contrĂŽler toute la chaĂźne de fabrication. »
Pour crĂ©er son usine, faute de subventions, il doit investir toutes ses Ă©conomies (environ 200 000 euros) et sâendetter. Si, depuis, ce « combat » lui a valu dâĂȘtre dĂ©corĂ© de la mĂ©daille de lâordre du MĂ©rite, le crĂ©ateur continue de regretter « le manque de financements » pour la crĂ©ation dâentreprises.« Chic Ă la française »
Pour François YamĂ©ogo, le faso dan fani est plus quâun tissu. Câest un patrimoine, une fiertĂ©. Lâancien prĂ©sident rĂ©volutionnaire Thomas Sankara (de 1983 Ă 1987) en avait mĂȘme fait un symbole de patriotisme et dâĂ©mancipation des femmes, allant jusquâĂ imposer par dĂ©cret Ă ses fonctionnaires de sâen vĂȘtir. Depuis, lâĂ©toffe a peu Ă peu reconquis le cĆur des BurkinabĂ©s, et sĂ©duit mĂȘme au-delĂ des frontiĂšres, en CĂŽte dâIvoire, en France et jusquâaux Etats-Unis.
Coupes modernes, lignes Ă©purĂ©es et tons pastel : le style « François Ier » mĂ©lange les cultures, sâinspire du « chic Ă la française », des coupes Saint Laurent et des couleurs et matiĂšres de son pays natal. « Ăa mâa toujours choquĂ© de voir certains Occidentaux porter nos tissus africains comme des dĂ©guisements bariolĂ©s, puis les jeter une fois rentrĂ©s parce quâils ne pouvaient plus les porter chez eux », confie lâautodidacte, qui coud depuis lâĂąge de 15 ans.
Dans la fabrique textile de François YamĂ©ogo, Ă Koudougou, au Burkina Faso, en janvier 2020. SOPHIE DOUCE POUR "LE MONDE"Avec des chemises Ă 30 000 francs CFA piĂšce et des tailleurs Ă 75 000 francs CFA, la maison propose du haut de gamme. Mais pour celui qui habille le prĂ©sident et de nombreuses cĂ©lĂ©britĂ©s burkinabĂ©es, seule la qualitĂ© peut « perdurer ». Afin de protĂ©ger cet hĂ©ritage des multiples contrefaçons, François YamĂ©ogo a mĂȘme obtenu la crĂ©ation dâun label « faso dan fani » en 2019. Infatigable, le sexagĂ©naire rĂȘve maintenant de cultiver ses propres champs de coton et de « montrer au monde le savoir-faire burkinabé » en ouvrant des boutiques en France et aux Etats-Unis.